Pourquoi Apple vend moins d’iPhone ?

L’iPhone a-t-il perdu de sa superbe ? Oui, si l’on en croit les résultats du 1er trimestre 2019 publiés par Apple le 30 janvier. Les revenus liés à l’iPhone ont baissé de 15% par rapport à 2017. Une première dans l’Histoire de la firme. Mais quelles sont les raisons de ce désamour ? Voici quelques éléments de réponse.

Après des années de domination insolente sur le marché des smartphones haut de gamme, Apple a pour la première fois annoncé une baisse des revenus liés aux ventes d’iPhone (-15%). Pour contrer la baisse globale des ventes de smartphones dans le monde, la marque à la Pomme a misé sur la valeur. L’iPhone X, vendu plus de 1000 euros, était le premier smartphone du marché à franchir cette barre symbolique. En 2018, les iPhone XS et XS Max ont atteint des sommets, la version la plus puissante du XS Max culminant à plus de 1600 euros. “The sky is the limit” disait Steve Jobs.

Mais la valeur n’est pas uniquement basée sur le prix. Pour beaucoup, les tarifs des nouveaux iPhone ne se justifient pas par les évolutions technologiques. Et ce n’est pas la seule raison de cette baisse de revenus. Les tensions avec la Chine, le taux de change, les nouveaux modes de consommation et l’arrivée de concurrents chinois agressifs sont d’autres raisons de cette baisse de régime. Certes, Apple continue de générer des bénéfices records, mais pour combien de temps ?

Le taux de change

L’un des arguments avancés par Tim Cook pour expliquer la baisse des ventes d’iPhone est le taux de change. La variation des devises peut sembler anodine pour certains, mais pour Apple (qui a vendu 900 millions d'iPhone depuis 2007), c’est un élément clé. Cette fluctuation des valeurs monétaires est d’ailleurs au coeur de la stratégie de la marque.

Apple n’hésite pas à commercialiser ses smartphones beaucoup plus chers dans certaines zones géographiques pour anticiper ces variations des devises. En clair, si l’iPhone coûte plus cher en Europe qu’aux Etats-Unis c’est parce qu’Apple anticipe les changements de taux de change. Voilà pour la version officielle.

En 2018, le dollar s’est renforcé par rapport à d’autres devises. Conséquence : le prix de l’iPhone a beaucoup augmenté. Ce qui aurait engendré une baisse des ventes, donc de revenus. Le PDG estime que le prix de l’iPhone a augmenté de 10% en Chine à cause de la hausse du cours du dollar.

Cet argument avancé par Tim Cook serait recevable si Apple n’avait pas anticipé cette situation. La firme explique depuis quelques années maintenant que si les iPhone sont plus chers en Europe qu’aux États-Unis, c’est justement pour anticiper les variations du taux de change. CQFD.

USA vs Chine : Apple, victime collatérale des tensions politiques

Parler de tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine serait un euphémisme. Donald Trump met en application sa politique protectionniste et chasse la concurrence chinoise sans ménagement. Huawei, interdit de territoire outre-Atlantique, en est la première victime.

Sans grande surprise, les entreprises américaines sont boudées en Chine. Oeil pour oeil, dent pour dent. Les consommateurs, autrefois fans de la marque à la Pomme, se tournent de nouveau vers des marques chinoises. Dans un pays où les utilisateurs se comptent en milliards, le manque à gagner est énorme. Selon les chiffres de Canalys, Apple n’est que le 5e meilleur vendeur de smartphones en Chine (-13%). Il est détrôné par Huawei (1er avec une croissance de 16%), Oppo (-2%), Vivo (+9%) et Xiaomi (en souffrance avec une baisse de 6%).

Ajoutons à cela un ralentissement des ventes globales sur ce marché arrivant lui aussi à saturation, le taux d’équipement ayant atteint un seuil fatidique. En 2018, 396 millions d’appareils ont été vendus, soit une baisse de 14% par rapport à 2017 (chiffres Canalys). C’est énorme ! En résumé, les consommateurs chinois renouvellent moins leur smartphone, et lorsqu’ils le font ils se tournent davantage vers des modèles chinois.

Aux États-Unis, les modes de consommation changent

Historiquement, aux États-Unis, les consommateurs s’orientent davantage vers les produits américains. Le secteur de la téléphonie ne fait pas exception. Motorola en son temps (celui du StarTAC) était la marque la plus plébiscitée outre-Atlantique. Apple lui a ensuite volé la vedette avec l’iPhone. Au premier trimestre 2018 par exemple, 42% des smartphones vendus aux États-Unis étaient des iPhone (chiffres Counterpoint).

Mais les modes de consommation changent. Si aux États-Unis l’iPhone cartonne, c’est aussi grâce aux habitudes d’achat des Américains. Outre-Atlantique, les smartphones sont principalement vendus avec des formules subventionnées (smartphone + forfait). Cette méthode de distribution permet de diluer le prix de l’iPhone dans une formule mensuelle globale. À l’achat, la facture est moins lourde, le forfait, lui, reste élevé. Des abonnements élevés, cela peut choquer en France, mais pas aux États-Unis, où les services sont tous plutôt onéreux, c'est tout à fait normal.

Mais les choses changent. La part de consommateurs se tournant vers les achats de smartphones “nus” augmente. Des abonnements mobiles plus abordables comme Google Fi commencent à voir le jour. Avec des forfaits plus abordables, acheter son smartphone sans subventions devient intéressant. Nous n’avons pas de chiffres exacts (malgré nos longues recherches), mais la tendance est claire. En 2013 déjà, l’opérateur T-Mobile faisait le choix de ne plus subventionner les smartphones. En 2015, le PDG de la branche business d’AT&T confiait que ce mode de consommation disparaîtrait à court ou moyen termes. Principale raison : les utilisateurs renouvellent leur matériel de plus en plus tard.

En optant pour un achat sans subventions, les consommateurs américains prennent la mesure du prix de l’iPhone. Et les nouveaux modèles sont particulièrement chers. Tim Cook le reconnaît lui-même : ce nouveau mode de consommation n’est pas favorable aux ventes d’iPhone. D’ailleurs, les chiffres du Consumer Intelligence Research Partners (CIRP) publiés début janvier 2019 confirment cette hypothèse. 39% des iPhone vendus fin 2018 étaient des iPhone Xr, soit l’iPhone de dernière génération le plus abordable.

En Europe, les marques chinoises font leur révolution

Le marché européen est très différent de celui des États-Unis. Les forfaits mobiles sont plus abordables (les territoires sont moins étendus et nécessitent moins d’investissements) ce qui favorise l’achat de smartphones sans subventions. En Europe, la part de smartphones vendus avec subventions est d’environ 50% (selon les acteurs du marché). La moitié de la population européenne achète donc son smartphone au prix fort.

Les constructeurs chinois n’allaient pas laisser passer une telle opportunité. En 2018, sur ce marché en mutation, plusieurs marques ont posé leurs valises sur le Vieux Continent. Honor et OnePlus, déjà bien installés, ont vu débarquer Oppo et Xiaomi, deux géants chinois trustant le top 5 mondial. Toutes ces marques ont le même credo : proposer des smartphones au rapport techno/prix imbattable.

Pour à peine plus de 500 euros maximum, ces constructeurs sont capables de proposer des modèles pouvant rivaliser avec les meilleurs du marché. Le Honor View 20, présenté en janvier 2019, ou le Xiaomi Mi Mix 3 en sont les parfaits exemples. Le smartphone d’Honor est le premier modèle équipé d’un écran à trou, nouvelle tendance de 2019. Le second fait renaître le concept de “slider” (manuel) pour que toute la face avant ne soit qu’un écran. En 2018, Oppo avait impressionné avec un système similaire (mécanique) intégré au Find X. Le OnePlus 6T, de son côté, a été élu “smartphone de l’année” par les médias spécialisés du monde entier.

Avec des produits deux à trois fois moins chers qu’un iPhone, il est de plus en plus difficile pour Apple de lutter. Les chiffres (encore) en témoignent. Début 2019, IDC révélait que Huawei avait détrôné Apple au second semestre de l’année. Samsung faisait de la résistance et conservait sa place de leader. Mais pour combien de temps ? Le coréen lui-même s’est montré pessimiste, en attendant les smartphones à écrans pliants. Les deux autres places du top 5 étaient occupées par des marques chinoises : Oppo et Xiaomi.

En septembre 2018, une étude Counterpoint illustrait le succès de OnePlus en Europe. La marque se classait alors 4e plus gros vendeur de smartphones Premium (plus de 400 dollars) sur le continent. OnePlus n’existe que depuis cinq ans !

Cette croissance insolente des marques chinoises contrebalance avec les résultats plus mitigés des géants du secteur, dont Apple, que certains imaginaient intouchable. Cette nouvelle tendance est certes liée à un contexte macro-économique, mais pas uniquement. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à ne plus percevoir ce “petit truc en plus” justifiant de mettre la main au portefeuille.

Plus c’est gros, plus ça passe

Apple n’avait pas d’autres choix que de miser sur la valeur pour résister à la baisse des ventes de smartphones au niveau mondial. Cette stratégie s’est montrée efficace durant un an. L’iPhone X marquait un tournant dans l’Histoire du smartphone d’Apple, une nouvelle ère s’ouvrait. Mais en 2018, l’annonce des iPhone XS et XS Max a laissé les consommateurs de marbre. Les évolutions, infimes, ne justifiaient pas leur tarif. Le prix ne suffit pas à faire de la valeur.

iPhone XS Max à gauche, iPhone Xr à droite

La recrudescence de concurrents a ouvert les yeux à beaucoup de consommateurs. Certaines marques ont continué à jouer le jeu de l’innovation pendant qu’Apple se reposait sur ses lauriers. Oppo avec son module photo coulissant, Honor avec son écran à trou et l’arrivée prochaine des smartphones pliants relèguent l’iPhone à un smartphone haut de gamme parmi d’autres.

En 2018, les constructeurs de modèles Premium ont mis le paquet sur la qualité de l’appareil photo. Autrefois indétrônable, l’iPhone a perdu de sa superbe. Nombreux sont les modèles à être de meilleurs photophones que l’iPhone. Le Huawei Mate 20 Pro ou encore les Google Pixel 3 et Pixel 3 XL lui mettent une claque. Bien qu’onéreux, ces modèles restent plus abordables qu’un iPhone XS ou XS Max.

Ce sentiment de ne pas “en avoir pour son argent” a été renforcé par les pratiques quelque peu mesquines de la marque à la Pomme. Les exemples ne manquent pas. Les iPhone XS et XS Max sont compatibles avec la recharge rapide, mais Apple ne fournit pas de chargeur compatible dans la boîte. Il faut mettre la main au portefeuille. Les nouveaux iPhone sont dépourvus de port jack 3.5 mm, mais Apple ne fournit pas d’adaptateur dans la boîte. Là encore, un achat additionnel est nécessaire. Ces pratiques passeraient inaperçues si les concurrents les reproduisaient, mais ce n’est pas le cas. Comme dirait le grand philosophe (et directeur des abattoirs d’Anderlecht) Claudy Focan : “et ça, ça fait mal”.

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