Accident mortel lié à l’Autopilot : Tesla a menti à la police et dissimulé des preuves pour se couvrir
Tesla a menti à la police et à la justice et a volontairement corrompu des preuves dans le cadre d'une enquête et d'un procès. Tout part d'un accident mortel dans lequel une Model S sous Autopilot était impliqué.

Le 25 avril 2019, un accident impliquant une Tesla Model S avec l'Autopilot activé provoquait la mort d’une femme de 22 ans et faisait un blessé. Il y a quelques jours, à l'issue d'un long procès, Tesla a été condamné à payer 242 millions de dollars US dans ce dossier, entre dommages et intérêts pour les plaignants et indemnités aux ayant-droits et au compagnon de la victime.
Le jury a donc estimé que l'accident est dû à une défaillance de l'Autopilot de Tesla. Le constructeur réfutait cette accusation, estimant que la faute incombe au conducteur, en excès de vitesse et qui n'avait pas les yeux sur la route au moment des faits. Mais les transcriptions du procès ont surtout mis en évidence que Tesla avait menti et dissimulé des preuves durant l'enquête.
Une première manipulation de Tesla
Electrek a reconstitué la chronologie des faits, et Tesla ne sort pas grandi de cette affaire. Il apparaît que trois minutes après l'accident, la Model S a regroupé le bus de données CAN, la vidéo du capteur, les données de l'enregistreur de données de conduite et d'autres informations dans un unique fichier : snapshot_collision_airbag-deployment.tar. Celui-ci a été envoyé sur les serveurs de Tesla, puis supprimé du système en local. Durant l'enquête, Tesla a agi comme si ce fichier, contenant des données importantes pour comprendre les circonstances de l'accident, n'était pas disponible.
Afin de reconstituer l'accident, un enquêteur demande à Tesla le 23 mai 2019, moins d'un mois après l'accident, d'accéder aux données de télémétrie. Croyant que Tesla allait collaborer de bonne foi, il fait confiance à l'avocat de l'entreprise, qui lui explique comment rédiger la lettre adressée au constructeur automobile pour l'obtention de ces données. Mais l'avocat donne des instructions tronquées, pour qu'il n'y ait pas de mention spécifique à la demande de partager les données de collision. Tesla fournit alors à la police des données d'infodivertissement, des journaux d'appels, une copie du manuel du propriétaire… en faisant passer sous silence qu'il a bien en sa possession les informations vraiment utiles recherchées par les autorités.
Un mensonge pour cacher les données
En juin 2019, la police tente d'extraire elle-même les données de l'ordinateur de bord de la Model S. Elle demande l'aide de Tesla, qui invite l'inspecteur en charge de l'affaire dans ses locaux. Rappelons qu'à ce moment, Tesla a déjà toutes les données nécessaires sur ses serveurs. La société fait donc semblant de collaborer. L'enquêteur apporte à Tesla les équipements sur lesquels il veut récupérer les données : la tablette centrale (MCU) et le boîtier de l’ECU, le système qui gère les systèmes critiques, dont l'Autopilot.
Le technicien de Tesla explique qu'il n'y a rien à retirer de l'ECU, que les données de l'ordinateur sont “corrompues”. Celui-ci assurera plus tard devant la justice, sous serment, qu'il n'a jamais analysé l'ECU, mais seulement le MCU. Alan Moore, un ingénieur légiste engagé par les plaignants, prouvera ensuite que Tesla a bien mis sous tension l'ordinateur le 19 juin 2019, et que les données étaient accessibles. L'entreprise a donc menti.
Entre 2019 et 2024, pendant l'enquête et la préparation du procès, Tesla n'a jamais communiqué sur le fait qu'il était en possession des données de l'accident, celles-là même que la police, la justice et les plaignants recherchaient.
L'entourloupe de Tesla est révélée
Fin 2024, le tribunal autorise les plaignants à demander à un expert tiers d'accéder à l'ECU de l'Autopilot. Intervient donc l'ingénieur légiste Alan Moore. Celui-ci réalise une image flash NAND pour obtenir une copie complète de l'ensemble des données présentes sur le dispositif. Rapidement, il constate que toutes les informations dont on avait besoin depuis plus de cinq ans étaient bien accessibles depuis tout ce temps. “Les ingénieurs de Tesla disaient que c'était impossible… et pourtant, cela a été fait par des personnes extérieures à Tesla”, témoigne alors Alan Moore.
Il explique que les informations stockées sur l'ECU sont une mine d'or pour comprendre la manière dont l'accident s'est produit. Non seulement il découvre toutes les données liées à l'Autopilot au moment de l'accident, mais aussi que le fameux fichier snapshot_collision_airbag-deployment.tar a été envoyé à un serveur à 18 h 16 heure locale le 25 avril 2019. En remontant la piste, il comprend alors que Tesla avait accès aux données depuis le début. Face à ces preuves, l'entreprise ne peut qu'admettre ses torts.
“Ils n'avaient pas seulement l'instantané, ils l'ont [le fichier] utilisé dans leur propre analyse. Il montre que le pilote automatique était activé, l'accélération et la vitesse, et que McGhee n'avait plus les mains sur le volant”, déclare l'avocat de la famille de la victime. Tesla a voulu se couvrir pour qu'on n'accuse pas son Autopilot d'être la cause de l'accident, protégeant de ce fait également le conducteur de la Model S. Au final, la révélation que le fabricant a menti depuis le premier jour et pendant des années, obstruant le travail de la police et de la justice, a dû peser lourd dans la décision du jury.
Tesla devient en partie responsable de l'accident
Voici ce qu'on a appris des données de l'ECU, ce qui a permis de débloquer le procès :
- Le pilote automatique était actif au moment de l'accident.
- Le guidage automatique contrôlait le véhicule.
- Aucun freinage manuel ni aucune commande de direction n'ont été détectés de la part du conducteur, indiquant qu'il n'était pas attentif et prêt à reprendre le contrôle du véhicule.
- Il n'y a eu aucune alerte invitant le conducteur à prendre le contrôle immédiat du véhicule, malgré l'approche d'une intersection en T avec un véhicule stationnaire sur la route.
- Des journaux montrent que les systèmes de Tesla étaient capables d'émettre de tels avertissements, mais qu'il n'y en a pas eu dans ce cas.
Par ailleurs, les données cartographiques et visuelles de l'ECU révèlent que la zone de l'accident était censée être de “pilotage automatique restreint”. Mais l'Autopilot n'a pas pris en compte cette information, dévoilant une faille dans le système. “Tesla avait le drapeau sur la carte. La voiture savait qu'elle se trouvait dans une zone interdite, mais le pilote automatique ne s'est pas désactivé et n'a pas émis d'avertissement”, commente Moore.
Cet élément est central dans ce dossier, car il permet de rejeter une partie de la faute sur Tesla, en plus du conducteur, qui a admis être responsable de l'accident et de pas avoir utilisé correctement l'Autopilot. Mais Tesla est condamné pour ne pas avoir mis en place des systèmes (géorepérage et surveillance du conducteur) empêchant le conducteur d'utiliser le pilotage automatique à mauvais escient.

