Il rêvait de percer dans le cinéma, mais il a finalement révolutionné le jeu vidéo : voici l’histoire incroyable de Hideo Kojima
Véritable sommité dans le monde du jeu vidéo, Hideo Kojima est un créateur qui a bouleversé les codes de l’industrie en proposant des expériences absolument uniques. Féru de cinéma et nourri par une ambition qui dépasse l’entendement, ce perfectionniste est à l’origine de l’une des plus grandes sagas de tous les temps : Metal Gear Solid. A l'occasion de la sortie de son nouveau jeu, Death Stranding 2, nous avons décidé de revenir sur la carrière de ce concepteur de génie, et notamment sa séparation très médiatisée avec Konami.
Hideo Kojima naît le 24 août 1963 à Setagaya, dans la métropole de Tokyo. Benjamin d’une famille de trois enfants, il est âgé de seulement 4 ans lorsque son père, pharmacien de profession, est contraint de déménager à Osaka dans le cadre de son travail. Le changement d’environnement est si rude que le garçon préfère rester chez lui à regarder la télévision et fabriquer des figurines. Sa famille va même jusqu’à instaurer un étonnant rituel : « À une époque, mes parents ont instauré une tradition familiale : tous les soirs, nous regardions un film ensemble. Je n'avais pas le droit d'aller me coucher tant que le film n'était pas terminé, contrairement à ce qui se passe pour la plupart des enfants. Mes parents étaient de grands amateurs de westerns, de cinéma européen et d'horreur en particulier. Ils ne se contentaient pas de me montrer des films pour enfants. Je voyais même les scènes de sexe. »
Nourri de tous ces long-métrages, Hideo Kojima – qui déménage une nouvelle fois à Kawanishi dans le Kansai – développe une importante culture cinématographique. Il grandit ainsi en se passionnant pour le septième art, mais vit une épreuve douloureuse à l’âge de ses treize ans. Orphelin de père, Hideo Kojima doit apprendre à subsister avec sa mère et ses deux autres frères, ce qui n’est pas toujours évident.
Du cinéma au jeu vidéo
Nourri de films provenant de multiples horizons, Hideo Kojima s’extasie lors de la découverte d’une caméra Super 8 détenue par un camarade. Avec ce dernier et d’autres amis, le petit groupe se met à tourner des films amateurs et va même jusqu’à faire payer 50 yens pour le visionnage. Au fond de lui, il en est certain : il travaillera dans l’industrie du cinéma ! Mais la route pour atteindre les plateaux est longue et cela passe par une première inscription à l’université.
C’est ainsi qu’il se retrouve à étudier l’économie autour de gens très sérieux, si bien qu’il passe son temps libre à rédiger des romans. Kojima s’imagine alors ceci : « Cette quête était également liée au cinéma, car je voulais gagner des prix pour mes romans et je pensais que si cela se produisait, j'aurais peut-être la chance de faire un film. » C’est à ce moment-là qu’il découvre la Famicom, la console de Nintendo qui deviendra NES chez nous. Son sang ne fait qu’un tour lorsqu’il comprend que ce média réunit tout ce qu’il aime : le scénario, le design, la musique… Exactement comme un film interactif ! Il se dit qu’il s’agit d’une solution rêvée, d’autant que personne dans son entourage, amis comme famille, le pousse à rejoindre le monde du cinéma.
Des débuts difficiles
Quitte à mentir à ses proches en leur annonçant qu’il travaille dans la finance, il fait un choix étonnant : « J'ai commencé à chercher une entreprise pour laquelle travailler et j'ai opté pour Konami, non pas en raison du type de jeux qu'ils produisaient à l'époque, mais plutôt parce qu'ils étaient cotés en bourse, explique-t-il. C'était la seule société de jeux à être cotée en bourse à l'époque ; même Nintendo n'avait pas cet honneur. » C’est en 1986, très précisément à l’âge de 23 ans, que le jeune Hideo Kojima est embauché au sein du studio Konami. Le Japonais, passionné du septième art et du jeu vidéo, est pétri d’ambition, mais les débuts sont délicats.
Recruté en tant que planificateur et designer, Hideo Kojima est envoyé dans la section MSX, de célèbres ordinateurs japonais, pour y concevoir de nouveaux titres. Sans expérience, il échoue à l’élaboration de son premier jeu, Lost Warld (un jeu d’action avec une guerrière masquée) et se fait moquer alors qu’il n’a que six mois de présence dans l’entreprise. Il se souvient : « De toute l'entreprise, j'étais le seul à n'avoir jamais été au bout d'un développement. Et du coup, au lieu de me saluer le matin, on me disait ‘fais au moins un jeu avant de mourir !' »
Agacé, Hideo Kojima envisage de quitter Konami, mais il est stoppé par une personne qui croit en lui et qui va devenir un véritable mentor : Naoki Matsui. Ce dernier, qui quittera Konami à la fin du développement du premier jeu Tortues Ninja sur Game Boy, va lui donner les clés pour résister et renverser la situation. Hideo Kojima s’enthousiaste : « C'était un mec génial ! Il a découvert que j'avais échoué lors de mon premier projet. Pour me remonter le moral, il m'a invité au restaurant et il m'a donné plein de conseils. Sans lui, je n'aurais sans doute jamais été au bout de mes idées. » Dans la foulée de cette rencontre, il rejoint l’équipe de Penguin Adventure et apprend, plus calmement, les rouages du métier. On lui demande alors de réaliser un jeu de guerre, mais il prend tout le monde à contre-pied.
Metal Gear Solid, la saga culte
Passionné de cinéma, Kojima a une vision qui consiste à développer un jeu sur le concept du film La Grande Évasion où il est question de se faufiler pour atteindre ses objectifs, le tout avec un véritable scénario. C’est ce jeu qui va devenir Metal Gear (MSX) et qui conduira à la création de Metal Gear Solid, la saga inoubliable de la PlayStation. Ce qui n’était vraiment pas gagné, comme il le confie : « Quand je suis allé voir mes supérieurs avec mon concept, la réponse a été cinglante : “ce débutant a déjà échoué une première fois et il vient nous présenter son idée bizarre où on fuit plutôt que se battre !” J'ai vraiment songé à partir mais je suis allé voir l'un de mes responsables (Naoki Matsui), il m'a aidé et il m'a pris sous ses ailes en se portant garant auprès de la direction. Si bien qu'ils ont fini par accepter mon concept. »
Pendant des années, Hideo Kojima va faire vivre cette saga et devenir une véritable star au sein de Konami. Mais pour atteindre ce niveau de perfection, le réalisateur japonais est très pointilleux avec ses équipes et il souhaite un tel niveau de détails que les plannings s’éternisent, faisant éclater le budget. Pendant plusieurs générations de consoles, Hideo Kojima a toujours eu le soutien de sa direction, qui était assurée de vendre des millions d’exemplaires de la saga Metal Gear Solid. Cette confiance lui a aussi permis de réaliser d’autres œuvres plus personnelles, comme les séries Zone of the Enders ou encore Boktai.
Le point de non-retour
Une bascule s’opère lors du développement de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain. En mars 2015, des rumeurs commencent à circuler quant à une situation très tendue en interne. Des sources affirment que le départ de Kojima de Konami est imminent, la faute à une restructuration interne. Indiscutablement, la direction qui se met en place n’a pas du tout la même vision que la précédente, en particulier sur l’importance du jeu vidéo. Tout va alors s’accélérer. Dans la continuité de la restructuration, des journalistes révèlent que Konami a bloqué l’accès à Internet, aux e-mails et aux appels téléphoniques de l’entreprise à tous les cadres du studio de Hideo Kojima (y compris l’intéressé). Il est même précisé que ceux-ci agissent désormais en tant que freelance pour terminer le jeu et qu’ils ne sont plus des salariés, contractuellement parlant.
Décidés à terminer dans les meilleures conditions Metal Gear Solid V : The Phantom Pain, Hideo Kojima et son équipe essayent, tant bien que mal, de résister à la pression. Au fond d’eux, ils le savent, le studio sera dissout dans la foulée de la sortie du jeu. Malgré les démentis pour contrer les informations de la presse spécialisée, la situation est catastrophique. En avril 2015, une autre production très attendue, P.T, considérée comme le futur Silent Hill, est supprimée du store numérique de la PlayStation 4. Le point de non-retour se confirme avec la suppression pure et simple du logo du studio Kojima Productions sur le site web officiel de Metal Gear et la jaquette officielle du jeu.
Après une trentaine d’années au sein de Konami, Hideo Kojima a quitté l’entreprise le 9 octobre 2015. La fin du développement de MGS V fut extrêmement abrupte et pour beaucoup, Konami n’a jamais retrouvé l’aura qui était la sienne malgré des sorties de jeux plutôt réussis ces derniers temps. De son côté, Hideo Kojima a réussi à rebondir en créant son propre studio (nommé Kojima Productions, comme un clin d’œil au passé), en s’entourant des bonnes personnes et en recevant des soutiens de toute l’industrie. Death Stranding et sa suite sont la résultante de ce parcours incroyable et il y a fort à parier qu’on tient là l’un des jeux de l’été.